La Scandaleuse de Berlin (1948) de Billy Wilder

Publié le par Plume231

A l'instar de son prédécesseur, "La Scandaleuse de Berlin" est un film méconnu du réalisateur mais cette fois de façon totalement injustifiée...

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Dans le secteur américain du Berlin en ruines de l'immédiat après-guerre, l'entente entre les militaires américains et les berlinois, en particulier les berlinoises, est excellente, peut-être même un peu trop. C'est le cas pour le capitaine John Pringle (John Lund) qui en plus d'entretenir une relation avec Erika Von Schlutow (Marlene Dietrich), ancienne fervente du IIIème Reich, lui évite d'être inquiétée. Cette dernière est chanteuse dans une boîte de nuit et est l'ancienne maîtresse d'un haut dignitaire nazi déclaré officiellement mort. Dans le même temps, un comité chargé d'enquêter sur le moral des troupes arrive par avion dans la capitale. Phoebe Frost (Jean Arthur), le chef de cette déléguation, dont l'autorité et l'honnêteté d'une rigidité exemplaire masquent en partie une vie sentimentale et affective d'un vide abyssal, est choquée par le peu de moralité des troupes américaines. Quand elle apprend par des rumeurs qu'un officier américain, dont l'identité est encore inconnue, protège l'ancienne nazie chanteuse de cabaret, et devant le peu de cas apparent que font les autorités américaines de cette affaire, Phoebe décide de mener elle-même des investigations pour découvrir le nom du militaire. Pour cela, elle demande de l'aide au seul officier auquel elle est confiance parce qu'ils viennent tout les deux de l'Iowa... le capitaine John Pringle. Ce dernier pour éviter d'être découvert feint de s'éprendre de la déléguée...

Pendant qu'il servait dans l'Armée des Etats-Unis en Allemagne, Billy Wilder avait reçu la proposition de tourner un film sur l'occupation des Alliées. Il profita de l'offre en écrivant le script avec son collaborateur habituel Charles Brackett et Richard L. Breen. L'écriture du scénario ne va pas se passer sans heurt à cause d'une grande mésentente entre Wilder et Brackett notamment pour la création du personnage d'Erika Von Schlutow. Charles Brackett reprochait à Wilder de donner une trop grande complexité à ce qu'il considérait comme une "vulgaire putain". Pendant l'écriture, le réalisateur interview de nombreux membres du personnel militaire américain en poste à Berlin ainsi que ses habitants qui avaient du mal à faire face à la destruction de leur ville. Une habitante rencontrée dans les décombres s'était dise très heureuse auprès de Billy Wilder que les Alliées aient installé le gaz chez elle. Quand il lui demanda si c'était le fait de pouvoir se préparer un repas chaud qui était la raison de son contentement, celle-ci répondit par la négative et dit que en fait c'était parce que maintenant elle pouvait se suicider.

Erich Pommer, qui était le responsable de la reconstruction de l'industrie du cinéma allemand, facilita la tâche au cinéaste en lui mettant à disposition des installations sur place. Pour le rôle d'Erika Von Schlutow, le premier choix du cinéaste n'est autre que Marlene Dietrich. Cette dernière est très réticente à l'idée de jouer ce rôle. En effet pendant la guerre, l'actrice s'étaient montrées une farouche anti-nazie et n'avaient pas hésiter à aider financièrement des artistes juifs allemands exilés dont Billy Wilder faisait partie. Elle fut finalement convaincue qu'elle était parfaite pour ce rôle après la vision d'un bout d'essai fait par une autre actrice. Il réussit à convaincre l'actrice Jean Arthur, qui n'avait tourné volontairement depuis quelques années pour le cinéma, de sortir de sa semi-retraite.

Malgré quelques inquiétudes de Jean Arthur qui trouvait que Wilder favorisait trop le jeu de sa partenaire et le fait que Marlene Dietrich détestait intensément son personnage, le tournage qui s'est déroulé en extérieurs, en grande partie en zone d'occupation soviétique, et aux studios Paramount se passa bien.

A l'instar de Carol Reed avec son chef d'oeuvre "Le Troisième Homme" (1949), "La Scandaleuse de Berlin" permet à Billy Wilder de montrer l'opposition entre une Amérique vainqueur mais candide et facilement impressionnable face à une Europe cynique et désabusée, que ce soit du côté des vainqueurs ou des vaincus (bien que le film de Wilder ne parle principalement que de ces derniers), qui a connu les horreurs de la guerre. La candeur du personnage de Phoebe, américaine très fraîchement arrivé en Europe, s'oppose très vite au mur de cynisme formé par l'allemande Erika, cynisme qui a fortement déteint sur la personnage du capitaine John Pringle, américain certes mais qui est en Europe depuis plusieurs mois.

Il est difficile de ne pas comparer le film avec un autre qui réalisé par Ernst Lubitsch, mais dont le scénario a été écrit en partie par Billy Wilder et Charles Brackett : "Ninotchka" (1939). Les deux films ont en commun un triangle amoureux totalement insolite. Le film de Lubitsch met en scène un comte français oisif mais sympathique, Léon d'Algout (Melvyn Douglas), qui est l'amant d'une grande-duchesse russe Swana, exilée de la Révolution, arrogante jusqu'à ce qui tombe amoureux d'une envoyée soviétique dure et rigide, Ninotchka (Greta Garbo). Le personnage de Jean Arthur et celui de Greta Garbo ont pour point commun d'être des personnes qui sans le savoir sont en manque d'amour et qui le masquent à travers une rigidité apparente et un dévouement total à leur travail. Tout les deux arrivent dans un pays étranger dont l'environnement leur est totalement étranger et leur manque d'amour va leur être révélé l'un par la séduction du comte français, l'autre par celle du capitaine américain. Mais les deux autres personnages du triangle amoureux sont assez différents. Ainsi si le capitaine Pringle séduit (au moins dans un premier temps !) Phoebe c'est uniquement pour éviter de se faire démasquer contrairement au comte d'Algout qui le fait d'abord par fascination puis très vite par amour. Si la grande-duchesse Swana parvient sans mal à se faire détester du spectateur, ce n'est pas le cas pour le personnage interprété par Marlene Dietrich pour lequel le spectateur ressent malgré tout une certaine empathie. On sent que les années et les divers malheurs qui ont traversé la vie du réalisateur entre les deux films l'ont rendu plus réaliste.

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Tombé quasiment dans l'oubli, ce film mérite de toute urgence d'être redécouvert. D'abord parce que le trio Jean Arthur-Marlene Dietrich-John Lund joue à merveille sans qu'aucun de ces acteurs ne tire la couverture vers lui. Ensuite parce que tout en critiquant l'attitude arrogante des allemands, pourtant possesseur d'un frais passé peu reluisant, face aux américains. Ce qui ne veut pas dire que ces derniers n'en prennent pas aussi pour leur grade. Ils arrivent sur une Europe ravagée comme les rois du Monde mais pourtant ne font pas le poids face à leurs cynismes. Wilder critique l'impérialisme américain naissant. La scène la plus éloquente de cet aspect est certainement celle où ils apprennent à un enfant allemand dont le cerveau a été lavé par le nazisme à désobeïr. Bien que d'une certaine noirceur, cette comédie ne perd à aucun instant son objectif de vue principal : celui de faire rire. Le scénario ne connaît le moindre temps mort et est captivant donnant lieu souvent à des situations irrésistibles, la mise en scène ne laisse passer aucune faute de rythme et ne se départit pas de l'élégance habituelle du réalisateur et les dialogues sont pétillants. Vous l'aurez compris, en plus d'être intelligent, ce film se révèle être un véritable régal.      



Publié dans Films des années 40

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B
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M
pour moi aussi c'est un bon film avec une ambiance indéniable
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S
Très grande comédie de BIlly Wilder qui réussit à faire rire sur le drame du Berlin de la reconstruction d'après-guerre. John Ludd est épatant et fait passer son jeu par des petts rictus discret et efficace. Jean Arthur est adorable en rigide parlementaire complexée même si son style et/ou son surjeu ne correspond pas du tout à celui d'une Marlène Dietrich toujours aussi classe. Petit bémol sur le passé du personnae joué par Marlène Dietrich ; était-elle oui ou non nazie ?! Pas d'explications qui laisse comme un petit manque. Mais ne boudons pas notre plaisir !... 3 étoiles pour moi
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