Billy Wilder, l'art de la finesse et de l'élégance

Publié le par Plume231

Billy Wilder (1906-2002)

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Billy Wilder est sans conteste un des plus grands réalisateurs-scénaristes que Hollywood ait connu et un de celui qui a su le mieux conjuguer la finesse et l'intelligence avec l'art de divertir.

Né en 1906 à Sucha, ville actuellement polonaise qui faisait encore partie à l'époque d'un Empire Austro-Hongrois qui vivait alors ses dernières années, avant que sa famille s'installe assez rapidement à Vienne. Au lieu de faire des études pour devenir avocat comme le souhaite son père, le jeune Samuel (surnommé Billy par sa mère qui avait une grande fascination pour l'Amérique et en particulier Buffalo Bill) préfère se consacrer au journalisme rédigeant des articles sur le sport, sur les faits divers et sur le spectacle (notamment le cinéma) d'abord dans la capitale autrichienne avant d'émigrer à Berlin alors en pleine ébulittion artistique. Il survit quelques temps en exerçant la profession de danseur mondain tout en se consacrant en même temps à l'écriture. Cette activité va peu à peu lui donner un train de vie confortable et d'entrer dans le monde du cinéma en rédigeant, sans être crédité, quelques scénarios pour des films muets.

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Les Hommes le dimanche (1931) de Robert Siodmak

Le film "Les Hommes le dimanche" (1931),  va être un véritable tournant dans la carrière du futur réalisateur car le succès cette oeuvre, à laquelle il participe en temps que scénariste et assistant-réalisateur, va lui permettre de décrocher un contrat avec l'Universum Film AG. Il lui permettra aussi de cotoyer aussi les futurs grands noms d'Hollywood que sont Robert Siodmak (à la réalisation), Edgar G. Ulmer (assistant-réalisateur) et Fred Zinnemann (scénariste + assistant-réalisateur). Mais après la rédaction de quelques autres scénarios, l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler et le fait qu'il soit de confession juive le contraint à l'exil. Tout d'abord en France où il fera son premier film en tant que réalisateur, avec la collaboration d'Alexandre Esway, "Mauvaise graine" qui raconte les "exploits" d'une bande de "Vitelloni" voleurs de voiture et où il dirige une quasi-débutante du nom de Danielle Darrieux.

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Danielle Darrieux dans "Mauvaise graine" (1934), le premier film de Billy Wilder

Ensuite aux Etats-Unis où bien qu'il ne parle un mot d'anglais (langue qu'il apprendra très vite) et grâce à des contacts avec d'autres réfugiés du nazisme qu'il a rencontré à Paris, notamment le comédien Peter Lorre, il parvient à trouver un poste de scénariste à Hollywood pour les studios de la Paramount. L'année 1938 va être un véritable bouleversement dans sa carrière de scénariste quand il entamera le début d'une longue et fructueuse collaboration avec Charles Brackett avec deux chefs d'oeuvre de la comédie américaine l'hilarant "La Huitième Femme de Barbe-Bleue" (1938) et le subtil "Ninotchka" (1939), tous les deux réalisés par Ernst Lubitsch. Wilder ne cachera jamais sa grande admiration pour ce dernier et en fera mention souvent par la suite.

La collaboration sera aussi harmonieuse avec le cinéaste Howard Hawks avec le film "Boule de feu" (1941), variation comique du conte "Blanche Neige et les septs nains" où les septs nains sont remplacés par huits scientifiques, Blanche Neige par une chanteuse de cabaret écervélée et la méchante belle-mère par une bande de gangsters. Hawks donnera même l'autorisation à Wilder, qui ne cache pas ses velleités de devenir réalisateur, d'assister au tournage du film.

Mais la mésentente sera totale entre l'aspirant réalisateur et le cinéaste Mitchell Leisen pour lequel pourtant il écrira avec Brackett trois scénarios : "La Baronne de minuit" (1938) délicieuse comédie sophistiquée qui n'est pas sans faire penser à Lubitsch, "Arise my Love" (1940) étrange et efficace mélange de film d'action et de comédie romantique sur fond d'une actualité plus que brûlante, et "Par la Porte d'or" (1941).

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Charles Boyer et Olivia de Havilland dans "Par la Porte d'or" (1941) de Mitchell Leisen

C'est d'ailleurs le tournage de ce film-là qui va entraîner la décision définitive et irrévocable de Billy Wilder de tourner lui-même ses propres scénarios. En effet, Mitchell Leisen avait l'habitude de céder facilement à ses comédiens lorsque ceux-ci souhaitaient modifier une scène. C'est le cas pour ce film avec le comédien Charles Boyer.

Cet excellent film (certainement le meilleur de Leisen!) raconte l'histoire d'un réfugié roumain (Charles Boyer) coincé dans un hôtel miteux d'une petite ville mexicaine située près de la frontière américaine et qui souhaite passer cette dernière. Pour obtenir rapidement la nationalité américaine et donc avoir son ticket d'entrée, il décide de séduire une jeune et naïve institutrice du pays de l'Oncle Sam (merveilleuse Olivia de Havilland) pour l'épouser, avec l'intention de divorcer tout de suite une fois la frontière passée, mais quelques imprévus, dont l'amour fait partie, réduisent quelque peu à néant ce plan ingénieux... .

Dans le script original de Wilder et Brackett, il y avait une scène, qui aurait pu être admirable, où le personnage interprété par Charles Boyer traduit sa détresse en parlant à un cafard dans sa chambre d'hôtel comme un employé de la frontière parle à un ressortissant étranger souhaitant passer la fameuse "Porte d'or". Charles Boyer trouvant idiot de parler à un cafard demanda à Leisen de supprimer cette scène et obtint gain de cause. En apprenant cela, Billy Wilder, qui avait une affection particulière pour cette séquence, décida de se venger de Boyer en modifiant le script à la dernière minute. Ainsi il l'arrange de sorte à ce que le comédien français ait le strict minimum de répliques et en donnant un maximum à sa partenaire Olivia de Havilland. Désormais Wilder sera le seul maître à bord...

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Ray Milland et Ginger Rogers dans "Uniformes et jupon court" (1942), le premier film américain de Billy Wilder

Pour son premier passage derrière la caméra à Hollywood, Wilder pour éviter de retourner par la seule case "scénariste" décide de ne pas prendre de risque en choisissant un sujet de film très commercial. 

Susan Applegate (Ginger Rogers) venue tenter sa chance à New York ne réussit qu'à cumuler les petits emplois et surtout à les perdre. Lassée par ses échecs, elle décide de retourner dans sa cambrousse natale. Elle a juste sur elle de quoi payer un aller simple en train mais manque de chance le prix du billet a augmenté. Sans se décourager, Susan décide de se travestir en gamine pour pouvoir bénéficier d'un billet demi-tarif. Mais une fois dans le train, les méchants contrôleurs se refusent à croire qu'ils ont en face d'eux une très jeune adolescente. Démasquée, elle s'enfuit et attérit dans le compartiment du major Kirby (Ray Milland), instructeur d'une école militaire, qui lui croit avoir affaire à une véritable gamine... . 

Si le scénario du film ne casserait pas trois pattes à un canard, il faut reconnaître que le charme agit déjà. La mise en scène est soignée au possible, les situations drôles sont nombreuses, le rythme est rondement mené et les personnages sont bien composés. De plus, le cinéaste aborde déjà un des principaux thèmes de prédilection de son oeuvre : la tromperie par le travestissement, ce qui va lui permettre d'être légerement subversif tout au long du film. Il faut ajouter au crédit de la réussite du film l'excellente interprétation de Ginger Rogers qui réussit l'exploit de convaincre qu'elle peut se faire passer pour une gamine. Le film sera un grand succès public et donc la carrière du réalisateur est définitivement lancée. Petite anecdote : Billy Wilder, qui n'avait toujours pas encaissé pour la scène du cafard, se moque de Charles Boyer dans ce film puisque dans la scène de la gare une jeune fille demande à sa mère de lui acheter un magazine où l'acteur a écrit un article intitulé : "Pourquoi je déteste les femmes".

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Franchot Tone, Anne Baxter et Erich Von Stroheim dans "Les Cinq secrets du désert" (1943)

Pour son deuxième film, un mélodrame de guerre, Wilder va encore utiliser le thème du déguisement et de l'usurpation d'identité mais cette fois à des fins dramatiques.

J.J. Bramble (Franchot Tone), capitaine de l'armée britannique, est le seul survivant d'une attaque de blindés en Afrique du Nord. Il traverse péniblement le désert pour attérir dans un hôtel où il devance de peu l'Africakorps du maréchal Rommel (Erich Von Stroheim) qui vient de faire subir une terrible défaite à l'armée britannique. Pour sauver sa vie, Bramble décide de se faire passer pour un des serveurs de l'hôtel qui a été tué lors d'un bombardement. Quand Rommel arrive, l'officier britannique ne tarde pas à découvrir que la personne dont il a usurpé l'identité n'est autre qu'un agent allemand. Tout en évitant de révéler sa véritable identité, Bramble va tenter de soutirer au maréchal les lieux où ce dernier a fait cacher ses dépôts de munitions... .

Initialement le réalisateur souhaitait Cary Grant dans le rôle principal. Celui-ci étant indisponible il dût se contenter de Franchot Tone (qui cela dit s'en sort très bien!). Mais c'est surtout la performance magistrale d'Erich Von Stroheim dans le rôle du "Renard du désert" qui mérite d'être soulignée. Il incarne un Rommel dur, froid et arrogant mais d'un honneur sans faille comme le montre les scènes où Mouche (Anne Baxter), une française qui fait partie du personnel de l'hôtel, lui demande de l'aide pour faire libérer son frère prisonnier dans un camp de concentration. Au lieu d'exploiter la crédulité de la française, comme le fera un de ses officiers subalternes, Rommel lui donne au contraire des conseils pertinents. Même si c'est un des films les moins connus de son réalisateur, "Les Cinq Secrets du désert" est un excellent film où l'élégance visuelle de la réalisation et l'habilité du scénario font des merveilles.

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Barbara Stanwyck et Fred MacMurray dans "Assurance sur la mort" (1944)

Autant le dire tout de suite le film suivant de Billy Wilder est du lourd, du très très lourd. Pour son troisième film et premier chef d'oeuvre, Billy Wilder décide d'adapter le célèbre roman de James M. Cain "Assurance sur la mort".

Dans les bureaux de la compagnie d'assurance pour laquelle il travaille en tant qu'agent, Walter Neff (Fred MacMurray), très grièvement blessé, se confie à un dictaphone. Quelques mois plus tôt alors qu'il faisait sa tournée, l'agent d'assurance croise la route de Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck), une très séduisante femme au foyer mariée à un époux très riche. Celle-ci lui demande de faire signer à son mari une assurance sur la vie sans qu'il le sache. Méfiant, Neff refuse tout d'abord mais il est à ce point fasciné par cette femme qu'il finit par y consentir et accepte de l'aider ensuite à se débarrasser du mari gênant. Le contrat signé par le mari à son insu et l'exécution du meurtre a lieu non sans quelques difficultés. Croyant avoir commis le crime parfait, les deux amants ne sont pas au bout de leurs surprises quand Barton Keyes (Edward G. Robinson), le très méticuleux supérieur hierarchique de Walter, émet des doutes quand au supposé suicide du mari... .  

Son collaborateur habituel, Charles Brackett, trouvant le sujet du film trop immoral refusa de participer à l'écriture du scénario. Wilder se tourna alors naturellement vers James M. Cain qui était à ce moment-là indisponible. Finalement, le réalisateur-scénariste choisit l'auteur de romans noirs Raymond Chandler. La mésentente entre Wilder et l'auteur du "Grand Sommeil" pendant l'écriture du scénario sera totale. Pourtant leur travail en commun donnera lieu à un résultat remarquable, le premier en y injectant la finesse et la solidité de son écriture, le second son art d'écrire des dialogues savoureux et percurtants. En effet, il est difficile de résister à ces derniers surtout quand ils sortent de la bouche d'un Edward G. Robinson au sommet de son art. Le monologue où il passe un savon à son supérieur, qui croit naïvement que la victime du meurtre s'est suicidée en se jetant d'un train, est un très grand moment de cinéma. 

La composition du casting ne va pas aussi se faire sans accroc. Beaucoup d'acteurs refusent le rôle principal, notamment George Raft, et Fred MacMurray ne l'accepte uniquement parce qu'un producteur, qui déteste Wilder et l'acteur en même temps, l'a forcé à le faire croyant le punir ainsi. Barbara Stanwyck, de peur de nuire à sa carrière avec ce rôle à contre-emploi, consent à le jouer uniquement quand le réalisateur réussit à piquer son orgueil en lui demandant "si elle est une vraie actrice ou une souris". Le cinéaste va d'ailleurs s'ingénier à casser l'image glamour qu'avait jusqu'ici son actrice l'afflublant d'une perruque blonde, d'un bracelet à la cheville (donnant lieu à la descente d'escalier la plus érotique du cinéma) la transformant ainsi en femme fatale perverse et sensuelle. En bref, la plus belle garce que le cinéma ait connu. 

Le film ne sera pas négligé non plus sur la plan de l'image pliant les codes du film noir à sa propre élégance visuelle et transformant, avec l'aide de son directeur de la photographie John F. Seitz, les lieux du quotidien (supermarché, bowling, fast-food,...) en endroits lugubres. "Assurance sur la mort" permet aussi au réalisateur d'employer un mode de narration qu'il avait jusqu'ici juste ébauché dans le scénario de "Par la Porte d'or" (1941) en ayant recours à un long flash-back et à une voix-off. Il aura souvent recours à ce mode de narration par la suite notamment dans "Boulevard du crépuscule" (1950).

L'un des aspects les plus intéressants du film est la relation quasi-filiale qu'il y a entre le personnage d'Edward G. Robinson et celui de Fred MacMurray. Ce sont deux personnages solitaires dont on peut ressentir le lien encore plus affectueux que celui de supérieur au subordonné pour lequel il a le plus d'estime en particulier dans trois scènes : la première où Barton Keyes propose à Walter Neff de devenir son assistant, la seconde où Walter Neff, se demandant s'il est soupçonné par son supérieur d'avoir participé au meurtre, écoute en secret le contenu de son dyctaphone où Keyes dit qu'il a une confiance absolue envers son subordonné. Au lieu de ressentir du soulagement comme on pouvait s'y attendre, l'agent d'assurance ressent au contraire un certain malaise. Et puis surtout la troisième, la scène finale, où Neff (mortellement ?) blessé dit à Keyes qu'il ne pouvait pas deviner que c'était lui le coupable parce qu'il était trop proche de lui-juste de l'autre côté du bureau et que ce dernier lui répond : "Encore plus proche que cela". Enfin le masque est tombé donnant lieu à un des finals les plus forts du cinéma.

A propos de fin, Wilder avait prévu d'ajouter une autre scène (qui a été tournée par ailleurs)après celle qui vient juste d'être évoqué où on voit Keyes assister à l'exécution de son collègue dans la chambre à gaz. Mais suite aux reactions négatives du public lors des projections-tests et  trouvant que la scène précédente était suffisamment forte, Billy Wilder la supprimera.

On notera que le réalisateur se plaira à contourner la censure très rigide de l'époque. Une des règles du code de censure de l'époque, le Code Hays, stipulait que l'on avait pas le droit de rendre sympathique au public un meurtrier. Le cinéaste contournera cette règle mettant souvent le personnage de Walter Neff dans des situations périlleuses obligeant ainsi le spectateur à avoir peur avec lui. Le sexe ne pouvait être pas évoqué non plus (et encore moins montré!). Pourtant dans la scène où Phyllis Dietrichson rend pour la première fois visite à Neff dans son appartement on voit les deux futurs amants s'embrasser, puis fondu enchainé pendant lequel on entend la voix-off de l'agent d'assurance dire "Puis nous sommes restés assis" après lequel on retrouve Walter entendu sur son sofa en fumant et Phyllis le regard perdu dans le vide. Pendant le moment entre ses deux instants, on se doute qu'ils ont fait autre chose que de simplement s'asseoir.

Le film sera un succès commercial et critique. Il sera nommé dans sept catégories aux Oscars de 1945 : Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleure actrice, Meilleur scénario, Meilleur photographie en noir et blanc, Meilleur musique et Meilleur son. Le film n'en remportera aucun devant s'incliner pour les principales catégories face au très facilement oubliable "La Route semée d'étoiles" de Leo McCarey. D'ailleurs Wilder sera tellement en colère de voir pendant la cérémonie les statuettes partir chez son concurrent qu'il dira plus tard que quand Leo McCarey est allé chercher la sienne il lui a fait un croche-pied. Info ou intox ? On ne le sera jamais.

En tous les cas, une chose est sûre c'est que le film est incontestablement un chef d'oeuvre absolu du cinéma et le meilleur film noir qui ait été tourné recelant d'innombrables qualités que le fait que Woody Allen considère ce film comme "le plus grand jamais réalisé" n'est pas totalement injustifié.

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Ray Milland face à ses démons dans "Le Poison" (1945), premier film hollywoodien sérieux sur le fléau de l'alcoolisme

Son film suivant, "Le Poison", sera révolutionnaire par le fait qu'il est la première oeuvre à Hollywood à aborder de façon sérieuse et très réaliste le problème de l'alcoolisme...

New York, Don Birnam (Ray Milland) est un écrivain râté et il le sait. Il le sait tellement qu'il tente de l'oublier en s'adonnant fortement à la boisson. Malgré le soutien fervent de son frère et surtout de sa fiancée Helen (Jane Wyman), Don, alors qu'il est à la veille de partir en week-end à la campagne et qu'il a réussit a arrêter de boire pendant quelques jours, replonge dans l'alcoolisme. Ceci est le début d'un week-end qui va être une véritable descente aux enfers...

Aidé de son co-scénariste habituel Charles Brackett, Billy Wilder adapte un roman de Charles Jackson qu'il a lu lors d'un voyage en train entre New York et Hollywood. Ils ne changeront qu'un seul point important de l'histoire par rapport au roman original : le fait que Don soit en parti alcoolique à cause d'une homosexualité sous-jacente. Cette idée ne sera pas utiliser dans le film. Encore une fois, le réalisateur-scénariste a pensé à Cary Grant pour le rôle principal. Mais une fois de plus, le rendez-vous entre les deux hommes n'aura pas lieu. C'est alors qu'il pense sérieusement à prendre l'acteur portoricain José Ferrer. Mais la Paramount met en garde Wilder en lui disant que le seul moyen de faire de ce film un succès est d'y mettre un acteur adulé du public. Le nom de Ray Milland est donc évoqué. Ce dernier malgré les mises en garde de ses conseillers, qu'ils lui disent que ce rôle pourra détruire sa carrière, et ses propres réticences accepte le rôle. L'acteur s'investira à fond dans le rôle refusant pendant un long moment de s'alimenter, comme les alcooliques n'en ont pas le réflexe, et en passant une nuit en tant que patient dans le Bellevue Hospital à New York.

Le réalisateur va pousser le réalisme très loin. Tout d'abord en tournant les scènes qui se déroulent en extérieur à New York, en particulier dans la Troisième Avenue, et les scènes censées se dérouler au Bellevue Hospital y ont été réellement filmées sur les lieux mêmes. Mais aussi en montrant dans ses moindres détails le cas clinique d'un alcoolique. Ainsi l'ingéniosité de Don pour pouvoir boire en toute tranquillité va être décrite dans les moindres détails. A l'instar de cette scène où il explique fièrement à Nat (Howard Da Silva), le barman du café qu'il fréquente assidûment, son stratagème pour pouvoir boire dans la maison de campagne où il doit aller en week-end sans éveiller les soupçons de son frère. Les scènes difficiles n'ont pas lieu de manquer aussi à l'exemple de celle où l'écrivain veut mettre sa machine à écrire au clou. On le voit traverser péniblement une Troisième Avenue new-yorkaise qui paraît être interminable sous un soleil caniculaire et en portant son très lourd engin de travail pour finalement s'apercevoir que les prêteurs à gages juifs sont fermés pour cause de Yom Kippour. Pire encore est cette scène où il se fait humilier devant toute la clientèle d'un bar après y avoir été surpris à voler de l'argent dans le sac à main d'une cliente parce qu'il n'avait pas de quoi payer ses consommations. On est forcé de suivre pas à pas avec lui cette véritable descente aux enfers, jusqu'à un happy-end pas aussi rassurant que certains le prétendent, comme le montre le fait que l'on voit comme lui dans une scène ses hallucinations dues à une crise de Delirium Tremens. Mais le pire réside peut-être dans le fait qu'on suit un personnage lâche et près à n'importe quoi pour un verre, qui à l'air de se complaire dans son vice et qui se vante de se servir de son ingénuosité pour le faire alors qu'il pourrait l'utiliser pour écrire. La grande qualité du film doit certainement beaucoup à cet aspect.

Wilder va aussi savemment utilisé la technique pour servir son film. Il a souvent recours à des très gros plans pour mieux souligner la déchéance du personnage ainsi qu'à la profondeur de champ. En effet, on peut voir souvent des objets soulignant l'état d'esprit de son personnage dans le premier plan comme l'étagère remplies de bouteilles d'alcool d'un magasin alors qu'il s'apprête à y rentrer ou encore cette lampe brisée lorsqu'il recherche frénétiquement une bouteille qu'il a cachée dans son appartement. A contrario, la machine à écrire apparaît souvent en arrière-plan pour mieux souligner le peu d'importance que Don attache à cet objet.

Une fois le film terminé et monté, les réactions plutôt négatives du public lors de certaines projections-tests vont encourager la Paramount à mettre le film au placard momentanément. Wilder profitera de cette période de près de cinq mois pour aller servir la division de l'armée américaine chargée de la reconstruction du cinéma et du théâtre allemands. Une fois de retour à Hollywood, il apprend que la Paramount consent finalement à la sortie nationale de son film.

Ce dernier sera étonnamment un immense succès critique et commercial. Comme pour "Assurance sur la mort", le film sera nommé dans sept catégories. Mais cette fois-ci, l'Académie des Oscars ne se trompera pas en decernant quatre de ses principales statuettes à ce film. Outre celle du meilleur film, "Le Poison" remportera celle du meilleur réalisateur et du meilleur scénario permettant à Billy Wilder d'empocher ses deux premières statuettes. Ray Milland en gagnera une aussi pour sa performance à ce point exceptionnelle qu'il s'était même fait arrêter par la police pour ivresse sur la voie publique lors du tournage en extérieur à New York. La France fera aussi les honneurs à ce film en faisant de Ray Milland le premier acteur récompensé à Cannes et en lui donnant le Grand Prix du Festival avec dix autres films.

Bizarrement, il faudra attendre dix-sept ans avant de voir un autre film aussi fort sur ce fléau avec le poignant "Le Jour du vin et des roses" (1962) qui sera ironiquement aussi réalisé par un autre grand réalisateur de comédie : Blake Edwards.

Billy Wilder dira plus tard à propos de ce film que le lobby de l'alcool était à ce point paniqué qu'il offrit à la Paramount la somme très conséquente de cinq millions de dollars pour l'enterrer définitivement. Le studio de cinéma, honnête, refusera la proposition. Wilder dira que si cette proposition lui avait été faîte directement, personne n'aurait vu le film. Ce qui aurait été dommage car on serait passé à côté d'un chef d'oeuvre d'une puissance peu commune.

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La Prise de Berlin en 1945 par l'Armée rouge après laquelle Billy Wilder ira y rejoindre la division de l'armée américaine chargée de la recontruction du cinéma et du théâtre allemands

Les cinq mois que va vivre Billy Wilder pendant la mise au rebut momentané de son dernier film vont être certainement les pires de sa vie. Après la victoire des Alliés en Europe, il quitte les Etats-Unis tout d'abord pour Londres, où il a l'occasion de voir les terribles ravages du Blitz, puis ensuite à Paris avant d'arriver finalement à Berlin. Là, il apprend ce qu'il redoutait depuis longtemps à savoir la mort de sa mère, de son beau-père et de sa grand-mère à Auschwitz. Il participera au montage du documentaire "Les Moulins de la mort" (1945) d'où les images sont tirées de celles tournées dans les camps par les Alliés. Ce documentaire, le premier sur ce terrible sujet, sera diffusé aux allemands et aux autrichiens contraints de le regarder s'ils veulent avoir leurs rations de pain.

Sur le plan sentimental, la vie du réalisateur va aussi connaître un bouleversement en cette période. En effet, il va divorcer de sa première épouse, Judith, à laquelle il était marié depuis 10 ans. Après avoir eu une liaison avec les actrices Hedy Lamarr et Doris Dowling (celle qui joue la prostituée dans "Le Poison"), il épouse une ancienne chanteuse, Audrey Young, en 1949. Ils resteront mariés jusqu'à la mort du cinéaste.

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Bing Crosby et Joan Fontaine dans "La Valse de l'empereur" (1948), le premier film en couleurs du réalisateur

Autant les deux précédents longs-métrages du réalisateur paraissaient audacieux, autant celui-ci apparaît bien sage...

Alors que sans le savoir l'Empire Austro-Hongrois est en train de vivre ses dernières années, Virgil Smith (Bing Crosby), vendeur itinérant pour une célèbre marque de gramophone arrive dans le pays dans le but d'y établir cette dernière. Pour cela, il s'est fixé un objectif : vendre un gramophone à l'empereur François-Joseph (Richard Haydn) pour faire un maximum de publicité. Mais voilà, le vieil empereur n'est pas facile à approcher surtout quand le fidèle compagnon de Virgil, Buttons son fox-terrier, se met à agresser la caniche royale de la comtesse Johanna Augusta Franziska von Stoltzenberg-Stolzenberg (Joan Fontaine). Les relations entre l'américain et la comtesse, cette dernière étant déjà peu encline à adresser la parole à quelqu'un qui n'est pas de son rang, se révèlent donc naturellement désastreuses. La comtesse décide même de le faire expulser de l'Empire. Mais la caniche de sang bleu devient dépressive car elle est tombée sous le charme du chien américain. Désespérée, sa maîtresse se met immédiatement en relation avec le vendeur. Si les deux chiens ne tardent pas avoir de doux sentiments l'un envers l'autre, cela ne va pas tarder à être le cas aussi pour la comtesse et l'américain...

Le tournage de la première collaboration d'après-guerre de Billy Wilder et de Charles Brackett ne va pas s'avérer de tout repos. Ainsi le tournage du film dans le Tyrol autrichien va être effectué au Jasper National Park situé dans les Rocheuses...canadiennes. Pour que les paysages ressemblent plus à ceux de son Autriche natale, Billy Wilder exige la plantation de plusieurs pins ainsi que près de 4000 marguerites blanches soient peintes en bleu pour être plus photogéniques. Les conditions météorologiques vont se révéler desastreuses sans parler que Joan Fontaine va tomber malade pendant quelques jours et le réalisateur lui-même subira une intervention chirurgicale mineure. Il n'est donc pas étonnant que le budget et le temps de tournage prévus vont être vite dépassés.

Mais ce n'est rien comparé à l'attitude arrogante de Bing Crosby. Ce dernier, non content d'être doté d'un talent égal à celui d'un pot de chambre et d'avoir autant de charisme qu'un hoffel strudel avarié depuis six mois, se permet d'être méprisable avec sa partenaire et de faire changer par son staff ses répliques, à la grande fureur légitime du réalisateur. En mauvais professionnel qu'il est, c'est lui la "Star" et il ne sert que lui-même et pas le film.

Son interprétation médiocre dessert fortement le film. Mais heureusement ce défaut sera en grande partie occulté par le charme immense de la sublime Joan Fontaine, qui se montre très à l'aise dans le registre inhabituel pour elle de la comédie, et par l'interprétation savoureuse en empereur François-Joseph d'un Richard Haydn en très grande forme. Un autre défaut majeur du film vient du fait que Billy Wilder n'a pas la prestance d'un Vincente Minnelli ou d'un Stanley Donen dans la réalisation de numéros musicaux. Ceux-ci s'avèrent d'un staticité ennuyeuse et ralentissent considérablement le rythme du film.

En dépit de ses défauts et du fait qu'il soit qualifié de mineur dans la carrière du réalisateur, "La Valse de l'empereur" ne manque pas d'atout. Tout d'abord, c'est la première incursion de Wilder dans la couleur (technique qu'il utilisera peu souvent car sur ses vingt-six films seuls huit seront tournés en couleurs) ensuite c'est son seul film dont l'action se déroule dans son pays natal. Ce qui lui permet d'annoncer à sa façon la Chute de l'Empire austro-hongrois à laquelle il a assisté étant gosse particulièrement à travers quatre aspects. Tout d'abord par le nom du personnage incarné par Joan Fontaine, Johanna Augusta Franziska von Stoltzenberg-Stolzenberg, qui est d'un pompeux qui dépasse largement les limites du ridicule. Ridicule qui ne peut pas survivre, on se le doute, encore très longtemps. Les deux aspects suivants sont passés à travers le personnage de l'Empereur. Le premier quand le monarque dit au voyageur de commerce que la noblesse est comme un escargot, si il a plu sa coquille il est fichu. Le second à travers la scène finale où l'on voit le vieil empereur s'amuser avec des chiots bâtards. Le quatrième et dernier aspect est bien sûr le fait que la comtesse finit par partir avec le voyageur de commerce dans le pays de l'Oncle Sam. 

Le film fut nommé dans deux catégories secondaires aux Oscars de 1949 : celui des Meilleurs Costumes Couleurs et celui de la Meilleure Musique. Il repartira bredouille. Le succès auprès du public ne fut hélàs pas au rendez-vous non plus. C'est la principale raison pour laquelle Billy Wilder a peu d'estime pour ce film. Il dira cette parole amère : "J'ai voulu rendre hommage à travers ce film à Lubitsch. Je n'ai pas réussi". Bien que le film peut paraître d'une grande fadeur à côté d'autres oeuvres du réalisateur comme "Assurance sur la mort" ou encore "Certains l'aiment chaud", il n'est pas interdit de se prendre au jeu de ce film aussi agréable à regarder qu'une valse de Strauss à écouter. 

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Marlene Dietrich est "La Scandaleuse de Berlin" (1948)

A l'instar de son prédécesseur, "La Scandaleuse de Berlin" est un film méconnu du réalisateur mais cette fois de façon totalement injustifiée...

Dans le secteur américain du Berlin en ruines de l'immédiat après-guerre, l'entente entre les militaires américains et les berlinois, en particulier les berlinoises, est excellente, peut-être même un peu trop. C'est le cas pour le capitaine John Pringle (John Lund) qui en plus d'entretenir une relation avec Erika Von Schlutow (Marlene Dietrich), ancienne fervente du IIIème Reich, lui évite d'être inquiétée. Cette dernière est chanteuse dans une boîte de nuit et est l'ancienne maîtresse d'un haut dignitaire nazi déclaré officiellement mort. Dans le même temps, un comité chargé d'enquêter sur le moral des troupes arrive par avion dans la capitale. Phoebe Frost (Jean Arthur), le chef de cette déléguation, dont l'autorité et l'honnêteté d'une rigidité exemplaire masquent en partie une vie sentimentale et affective d'un vide abyssal, est choquée par le peu de moralité des troupes américaines. Quand elle apprend par des rumeurs qu'un officier américain, dont l'identité est encore inconnue, protège l'ancienne nazie chanteuse de cabaret, et devant le peu de cas apparent que font les autorités américaines de cette affaire, Phoebe décide de mener elle-même des investigations pour découvrir le nom du militaire. Pour cela, elle demande de l'aide au seul officier auquel elle est confiance parce qu'ils viennent tout les deux de l'Iowa... le capitaine John Pringle. Ce dernier pour éviter d'être découvert feint de s'éprendre de la déléguée...

Pendant qu'il servait dans l'Armée des Etats-Unis en Allemagne, Billy Wilder avait reçu la proposition de tourner un film sur l'occupation des Alliées. Il profita de l'offre en écrivant le script avec son collaborateur habituel Charles Brackett et Richard L. Breen. L'écriture du scénario ne va pas se passer sans heurt à cause d'une grande mésentente entre Wilder et Brackett notamment pour la création du personnage d'Erika Von Schlutow. Charles Brackett reprochait à Wilder de donner une trop grande complexité à ce qu'il considérait comme une "vulgaire putain". Pendant l'écriture, le réalisateur interview de nombreux membres du personnel militaire américain en poste à Berlin ainsi que ses habitants qui avaient du mal à faire face à la destruction de leur ville. Une habitante rencontrée dans les décombres s'était dise très heureuse auprès de Billy Wilder que les Alliées aient installé le gaz chez elle. Quand il lui demanda si c'était le fait de pouvoir se préparer un repas chaud qui était la raison de son contentement, celle-ci répondit par la négative et dit que en fait c'était parce que maintenant elle pouvait se suicider.

Erich Pommer, qui était le responsable de la reconstruction de l'industrie du cinéma allemand, facilita la tâche au cinéaste en lui mettant à disposition des installations sur place. Pour le rôle d'Erika Von Schlutow, le premier choix du cinéaste n'est autre que Marlene Dietrich. Cette dernière est très réticente à l'idée de jouer ce rôle. En effet pendant la guerre, l'actrice s'étaient montrées une farouche anti-nazie et n'avaient pas hésiter à aider financièrement des artistes juifs allemands exilés dont Billy Wilder faisait partie. Elle fut finalement convaincue qu'elle était parfaite pour ce rôle après la vision d'un bout d'essai fait par une autre actrice. Il réussit à convaincre l'actrice Jean Arthur, qui n'avait tourné volontairement depuis quelques années pour le cinéma, de sortir de sa semi-retraite.

Malgré quelques inquiétudes de Jean Arthur qui trouvait que Wilder favorisait trop le jeu de sa partenaire et le fait que Marlene Dietrich détestait intensément son personnage, le tournage qui s'est déroulé en extérieurs, en grande partie en zone d'occupation soviétique, et aux studios Paramount se passa bien.

A l'instar de Carol Reed avec son chef d'oeuvre "Le Troisième Homme" (1949), "La Scandaleuse de Berlin" permet à Billy Wilder de montrer l'opposition entre une Amérique vainqueur mais candide et facilement impressionnable face à une Europe cynique et désabusée, que ce soit du côté des vainqueurs ou des vaincus (bien que le film de Wilder ne parle principalement que de ces derniers), qui a connu les horreurs de la guerre. La candeur du personnage de Phoebe, américaine très fraîchement arrivé en Europe, s'oppose très vite au mur de cynisme formé par l'allemande Erika, cynisme qui a fortement déteint sur la personnage du capitaine John Pringle, américain certes mais qui est en Europe depuis plusieurs mois.

Il est difficile de ne pas comparer le film avec un autre qui réalisé par Ernst Lubitsch, mais dont le scénario a été écrit en partie par Billy Wilder et Charles Brackett : "Ninotchka" (1939). Les deux films ont en commun un triangle amoureux totalement insolite. Le film de Lubitsch met en scène un comte français oisif mais sympathique, Léon d'Algout (Melvyn Douglas), qui est l'amant d'une grande-duchesse russe Swana, exilée de la Révolution, arrogante jusqu'à ce qui tombe amoureux d'une envoyée soviétique dure et rigide, Ninotchka (Greta Garbo). Le personnage de Jean Arthur et celui de Greta Garbo ont pour point commun d'être des personnes qui sans le savoir sont en manque d'amour et qui le masquent à travers une rigidité apparente et un dévouement total à leur travail. Tout les deux arrivent dans un pays étranger dont l'environnement leur est totalement étranger et leur manque d'amour va leur être révélé l'un par la séduction du comte français, l'autre par celle du capitaine américain. Mais les deux autres personnages du triangle amoureux sont assez différents. Ainsi si le capitaine Pringle séduit (au moins dans un premier temps !) Phoebe c'est uniquement pour éviter de se faire démasquer contrairement au comte d'Algout qui le fait d'abord par fascination puis très vite par amour. Si la grande-duchesse Swana parvient sans mal à se faire détester du spectateur, ce n'est pas le cas pour le personnage interprété par Marlene Dietrich pour lequel le spectateur ressent malgré tout une certaine empathie. On sent que les années et les divers malheurs qui ont traversé la vie du réalisateur entre les deux films l'ont rendu plus réaliste.

Tombé quasiment dans l'oubli, ce film mérite de toute urgence d'être redécouvert. D'abord parce que le trio Jean Arthur-Marlene Dietrich-John Lund joue à merveille sans qu'aucun de ces acteurs ne tire la couverture vers lui. Ensuite parce que tout en critiquant l'attitude arrogante des allemands, pourtant possesseur d'un frais passé peu reluisant, face aux américains. Ce qui ne veut pas dire que ces derniers n'en prennent pas aussi pour leur grade. Ils arrivent sur une Europe ravagée comme les rois du Monde mais pourtant ne font pas le poids face à leurs cynismes. Wilder critique l'impérialisme américain naissant. La scène la plus éloquente de cet aspect est certainement celle où ils apprennent à un enfant allemand dont le cerveau a été lavé par le nazisme à désobeïr. Bien que d'une certaine noirceur, cette comédie ne perd à aucun instant son objectif de vue principal : celui de faire rire. Le scénario ne connaît le moindre temps mort et est captivant donnant lieu souvent à des situations irrésistibles, la mise en scène ne laisse passer aucune faute de rythme et ne se départit pas de l'élégance habituelle du réalisateur et les dialogues sont pétillants. Vous l'aurez compris, en plus d'être intelligent, ce film se révèle être un véritable régal.      

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 Gloria Swanson et William Holden dans "Boulevard du crépuscule" (1950)

Si les "films sur le cinéma" était un genre en soi, "Boulevard du crépuscule" en serait sans conteste le chef d'oeuvre absolu. Plus qu'un chef d'oeuvre, ce film est un véritable MONUMENT...

Sunset Boulevard, Los Angeles, 5 heures du matin. La police ainsi que des journalistes foncent vers une vaste demeure d'une star hollywoodienne. Le cadavre d'un homme assassiné flotte sur le ventre dans la piscine de la villa. Son nom ? Joe Gillis (William Holden), c'est lui-même qui se présente et qui va nous raconter ce qui l'a amené dans cette situation peu enviable... Six mois auparavant, Joe est un scénariste sans le moindre avenir. Il n'a pas finit de payer sa voiture et il doit plusieurs mois de loyer de retard. C'est en échappant à deux de ses créanciers qu'il attérit par hasard dans une villa qu'il croit dans un premier temps déserte. Il ne tarde pas à s'apercevoir qu'elle est en fait habitée par une ancienne star du muet, Norma Desmond (Gloria Swanson), qui a pour seul compagnie celle de son majordome Max (Erich Von Stroheim). En effet, son chimpanzé vient de mourir et c'est en le prenant pour le croque-mort que Norma le fait entrer dans son anachronique demeure. Quand il lui révèle qu'elle le prend pour un autre, l'actrice veut le faire expulser jusqu'à ce qui lui dise sa profession. L'ancienne star oubliée se croit toujours la Reine d'Hollywood et pense que le scénariste peut lui servir ses desseins de come-back...

Le sujet du film vient d'une idée du co-scénariste de Wilder, Charles Brackett, mais à la grande différence qu'il voulait en faire une comédie. Le fait que le réalisateur l'ait transformé en drame, avec l'aide notamment de l'ancien journaliste D.M. Marshman Jr., a été une très grande source de conflit entre les deux hommes. Ce sera d'ailleurs leur dernière collaboration. Pour éviter d'être dérangé par le studio et la censure qui ne peut être que frileuse avec un tel sujet ils l'ont font croire qu'ils travaillent sur un film intitulé "La Boîte d'haricots". Le script est très loin d'être achevé quand le tournage commence...  

La composition du casting ne va pas se révéler simple, loin de là :

Le choix de Gloria Swanson :

Pour le rôle de Norma Desmond, Billy Wilder pense tout d'abord à Greta Garbo qu'il souhaite sortir de sa retraite. Mais l'actrice refuse tout de suite. Il pense ensuite à Mae West. Mais cette dernière refuse aussi car elle se trouve trop jeune pour incarner une star du cinéma muet. Le rôle est proposée à Mary Pickford qui le refuse elle aussi de peur que le rôle entache l'image saine qu'elle avait laissée aux spectateurs. Le réalisateur pense alors à Pola Negri mais cette fois c'est lui qui rebrousse chemin horrifié par le fort accent polonais de l'actrice. C'est finalement un de ses collègues réalisateurs, George Cukor, qui lui conseille de prendre Gloria Swanson. Cette dernière qui a été sans conteste une des stars féminines les plus adulées du cinéma muet avait arrêté sa carrière au début du parlant. Mais contrairement à Norma Desmond, l'actrice avait pris pleinement conscience que son temps était fini. De plus, elle ne vivait pas en recluse car elle animait à ce moment-là une émission de radio à succès. D'abord réticente à l'idée de rejouer pour le cinéma, Swanson se montra très vite enthousiasmée par le scénario. Elle accepta immédiatement le rôle.

Le choix de William Holden

Pour celui de Joe Gillis, c'est l'acteur Montgomery Clift qui signe le contrat pour le jouer. Mais ce dernier décide de le rompre deux semaines avant le début du tournage. Wilder demande à Fred MacMurray, qu'il avait déjà fait tourné dans "Assurance sur la mort", de jouer le rôle. Mais l'acteur refuse de jouer un gigolo. Le réalisateur pense alors à un autre acteur mais les producteurs refusent sous le prétexte qu'il est inconnu, son nom ? Marlon Brando. Alors Wilder veut Gene Kelly mais la MGM refuse de le préter. C'est donc à contrecoeur qu'il consent à donner le rôle à un acteur qui n'arrêtait pas instamment de le lui réclamer depuis quelques temps : William Holden. Ce dernier, après des débuts fracassants aux côtés de Barbara Stanwyck dans "L'Esclave aux mains d'argents" (1939), avait enchainé dans les années 40 des films de série B qui n'ont laissé que peu de trace dans l'Histoire du cinéma. C'est donc dans un contexte quasiment identique à celui de son futur personnage, à la différence que l'un est acteur l'autre scénariste, que William Holden va obtenir le rôle. Billy Wilder ne va pas regretter un seul instant son choix car en plus d'être l'acteur parfait pour le rôle, ceci va être le début d'une collaboration qui va s'étendre sur quatre films ainsi que celle d'une longue amitié. 

Le choix de Nancy Olson :

Billy Wilder veut un nouveau visage pour celui de Betty Schaefer. Le choix se portera sur Nancy Olson dont ce sera le troisième film et le premier rôle important.

Le reste du casting :

Erich Von Stroheim est choisi pour le rôle de Max, le serviteur dévoué de Norma. Von Stroheim et Wilder se connaissaient très bien puisque le premier avait déjà tourné sous la direction du second dans "Les Cinq Secrets du désert" (1943). De plus, Wilder avait une très grande admiration pour les films de Von Stroheim réalisateur que ce dernier a tourné à l'époque du muet lui disant lors de leur première rencontre que ses oeuvres avaient dix ans d'avance sur leurs temps. Von Stroheim lui rétorquera : "Non, vingt". Le cinéaste Cecil B. DeMille alors vraiment en tournage à ce moment-là du film "Samson et Dalila" (1949) accepta de faire un caméo contre 10 000 dollars plus une Cadillac flambant neuf puis demandera 10 000 autres dollars quand Wilder voudra faire un gros plan de lui. Hedy Lamarr, l'actrice qui incarne Dalila dans le film de DeMille, devait faire aussi un caméo mais ses exigences financières étaient trop hautes. La chroniqueuse Hedda Hopper fera aussi une apparition dans son propre rôle à la fin du film. On oubliera pas de signaler aussi "les statues de cire" de la partie de carte que sont Anna Q. Nilsson, H.B Warner et Buster Keaton.

Les références au cinéma muet tout au long du film sont très nombreuses. Ainsi le film projeté dans la villa de Norma est "Queen Kelly" (1929), oeuvre inachevée dans laquelle à vraiment joué Gloria Swanson. Inachevée par le fait que l'actrice était inquiête de la tournure bizarre que prenait le tournage à cause du réalisateur qu'elle prenait pour un fou. Elle se plaindra de ce comportement au producteur du film et amant de l'époque, Joseph P. Kennedy (le père de JFK). Ce dernier décidera d'interrompre le tournage du film sonnant ainsi le glas de la carrière de Gloria Swanson et du réalisateur du film, son nom ? Erich Von Stroheim. Les apparitions des "statues de cire" en sont aussi puisque ces dernières sont d'anciennes gloires du cinéma muet. Le nom de Norma Desmond est ironique car c'est le regroupement de William "Desmond" Taylor, réalisateur du cinéma muet dont la mort dans des circonstances douteuses avait été l'objet d'un scandale retentissant, et de Mabel "Norma"nd, actrice de la même époque qui avait vu sa carrière stoppée nette suite à ce scandale. Dans la scène des imitations, Norma imite tour à tour les actrices des petits films muets de Mark Sennett (dont faisait partie Swanson) et le personnage de Charlot. Cecil B. DeMille, qui avait réussi sans problème à passer le cap du parlant, peut être considéré dans ce film comme la transition entre cinéma muet et cinéma parlant. Les références au cinéma moderne sont nombreuses aussi. "Autant en emporte le vent" (1939) est cité. Le personnage de William Holden fait une blague sur le chimpanzé mort en faisant allusion au film "King Kong" (1933) et les décors de la résidence de Norma ne sont pas sans faire penser à ceux de "Dracula" (1931). Les noms de Greta Garbo, de Tyrone Power et du producteur Darryl F. Zanuck sont cités. La grande chroniqueuse hollywoodienne de l'époque Hedda Hopper fait aussi une apparition. Et le cinéaste n'hésitera pas à faire une allusion désagréable à Bing Crosby pour se venger en quelque sorte du comportement odieux du comédien sur le tournage de "La Valse de l'empereur" (1948).    

Les allusions se font aussi par les lieux par lesquels passent les personnages. Le Drugstore de Swab, qui n'existe plus depuis les années 80, a vu selon la légende l'auteur de chansons Harold Arlen écrire "Over the Rainbow" à la lumière de son néon, l'auteur et scénariste Francis Scott Fitzgerald y faire une attaque cardiaque en 1940 alors qu'il y achetait des cigarettes, Charlie Chaplin et Harold Lloyd y jouer au flipper et la découverte de Lana Turner alors qu'elle y mangeait une glace. Ou encore la porte des studios Paramount, qui existe toujours d'ailleurs, qui avait été construite aussi grande en 1926 pour contenir la foule choquée par la mort de Rudolph Valentino. Ce sont des exemples parmi tant d'autres. 

Le réalisateur ne néglige pas non plus l'aspect visuel de son oeuvre parsemant le film d'image mémorable comme le cadavre de Joe Gillis flottant sur le ventre dans la piscine de la villa et filmé du "point de vue du poisson", celle où Norma Desmond dans le faisceau de lumière jurant qu'elle sera bientôt sous le feu des projecteurs ou encore la scène où Gillis apparaît totalement en arrière-plan, alors qu'on voit les doigts de Max jouer de l'orgue, soulignant ainsi la négligeable importance qu'à le personnage de Joe dans la villa.

D'ailleurs les dialogues souligneront bien ce dernier aspect. Ainsi à des répliques sarcastiques de Joe, Norma y répondra le plus sérieusement du monde instaurant ainsi une certaine superiorité. Ce qui n'est pas le cas avec les répliques qu'il oppose au personnage de Betty Schaefer. Ils sont mis au contraire sur un pied d'égalité. Mais à la douceur et à l'amour sincère de Betty, Joe Gillis préférera le luxe tapageur de la vie de Norma. Il y renoncera mais trop tard... . La nature humaine est ainsi faîte.

Billy Wilder utilisera le même mode de narration qu'il avait déjà employé dans "Assurance sur la mort" mais avec une différence importante : cette fois l'histoire est racontée du point de vue d'un mort. Il ne faut pas croire que ce soit Wilder qui ait inventé cela. En fait, Charlie Chaplin avait déjà fait une ébauche de cela dans la scène d'introduction de "Monsieur Verdoux" (1947). La première chose que l'on voit dans cette scène est une tombe avec l'inscription "Henri Verdoux (1880-1937)" avant que la caméra s'éloigne pour se balader tranquillement dans le cimetière. Pendant le mouvement de caméra, on entend par l'intermédiaire d'une voix-off Henri Verdoux nous dire rapidement ce qu'il l'a amené là. Mais cette voix-off dans le film de Charlie Chaplin ne va être utilisée que dans cette scène alors que dans le film de Billy Wilder, on l'entendra tout au long de l'histoire. Si Wilder n'a pas inventé ce système, tout du moins il l'a utilisé jusqu'à son paroxysme. Il est à noter que Sam Mendes le réutilisera dans le brillant "American Beauty" (1999).

Les premières projections-test auront lieues à Everton dans l'Illinois. Ce sera un désastre. En effet, il y avait une scène d'ouverture dans une morgue où on voyait le cadavre de Joe Gillis discuter avec d'autres morts. Cette scène censée être dramatique n'aura pas l'effet escompté par le réalisateur sur les spectateurs puisque ces derniers se montreront hilares. Une spectatrice ignorant totalement à qui elle s'adressait dira à Wilder alors assis sur des marches à l'extérieur de la salle de projection que c'est le pire film qu'elle ait jamais vu. Le cinéaste se contentera de répondre qu'il est tout à fait d'accord avec elle. La scène d'ouverture sera finalement supprimée.

Le film sera projeté aussi devant des membres d'Hollywood. Tous seront admiratifs, Barbara Stanwyck allant jusqu'à embrasser l'ourlet de la robe de Gloria Swanson. Seul le producteur Louis B. Mayer se montrera en colère hurlant à Wilder "Comment as-tu pu faire ça ? Tu déshonores le monde qui ta fait et qui ta nourri. Tu mériterais le goudron et les plumes avant de fuir Hollywood.". Ceux à quoi Wilder répondra un laconique "Va te faire encul**!".

Le succès commercial du film sera immense aux Etats-Unis d'abord, surtout dans les grandes villes, avant qu'il ne devienne mondial. La plupart des critiques ne se tromperont pas en écrivant que "Boulevard du crépuscule" est un classique appeler à durer. Le film va être nommé dans onze catégories aux Oscars de 1951. Son grand concurrent parmi les quatres autres nominés dans la catégorie "Meilleur Film" est "Eve" (1950) de Joseph L. Mankiewicz. Ainsi deux grands monstres du cinéma, le plus grand film jamais tourné sur le cinéma et le plus grand film jamais tourné sur le théâtre vont s'affronter, deux immenses chefs d'oeuvre. Finalement, ce sera "Eve" qui sera le grand gagnant emportant huit oscars dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur. L'Académie des Oscars était peut-être frilleusse de donner ses principales récompenses à un film qui critique avec autant de noirceur le milieu du cinéma. Mais force est de reconnaître que le chef d'oeuvre de Mankiewicz les méritait aussi. "Boulevard du crépuscule" ne repartira pas les mains vides puisqu'il empochera trois statuettes : celui de la meilleure direction artistique en noir et blanc, celui de la meilleure musique et celui du meilleur scénario original. Quand à l'Oscar de la meilleure actrice, il aurait été légitime qu'il aille soit à Gloria Swanson soit à Bette Davis inoubliable dans "Eve" ou même éventuellement à Anne Baxter très convaincante en garce manipulatrice dans ce même film. Et cet Oscar est revenu à...Judy Hollyday pour son rôle dans "Comment l'esprit vient aux femmes" (1950). Je crois qu'il vaut mieux se passer de commentaires. En tous les cas, Bette Davis avouera plus tard que si Gloria Swanson l'avait battu aux Oscars, elle aurait été la première à applaudir. Par la suite, Gloria Swanson aurait la sagesse de refuser plusieurs scripts qui lui proposait un rôle du même type et la carrière de William Holden a pris après ce rôle un tournant très favorable le faisant accéder définitivement au rang de star.

"Boulevard du crépuscule" est un MONUMENT du cinéma. Le scénario est dense et captivant, les dialogues sont d'un raffinement rare certains étant restés mémorables (Joe Gillis : "You're Norma Desmond. You used to be in silent pictures. You used to be big." Norma Desmond : "I *am* big. It's the *pictures* that got small."; "All right, Mr. DeMille, I'm ready for my close-up.", ...) tout comme certaines scènes (Le cadavre de Gillis flottant dans la piscine sous les flash des photographes, la réception du soir de la Saint-Sylvestre où Desmond et Gillis sont les seuls invités, la scène finale aussi déchirante que grotesque,...), les décors sont d'un baroque splendide, la photographie en noir et blanc est sublime et les cadrages tous parfaitement choisis donnant une grande élégance visuelle à l'ensemble. Face à William Holden, qui arrive à jouer admirablement de son image d'américain pragmatique, Gloria Swanson est immense, incarnant avec une maestria inégalable et un cabotinage génial une ancienne star oubliée totalement hors de la réalité. Elle nous offre là une des plus grandes interprétations d'actrice de toute l'Histoire du cinéma. L'ensemble est magnifié par la musique inoubliable de Franz Waxman. Jamais chaque détail de la mise en scène d'un film n'aura autant respiré la perfection. Hommage sincère et affectueux au Septième Art autant que critique au vitriol de ce monde qu'il le créait, Billy Wilder est le maître d'oeuvre de ce chef d'oeuvre absolu et on le remerciera jamais assez de nous avoir donné non seulement le plus grand film tourné sur le cinéma mais aussi, disons-le frachement, un des plus grands films de tous les temps. 

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Kirk Douglas dans "Le Gouffre aux chimères" (1951)

L'oeuvre suivante du réalisateur, "Le Gouffre aux chimères" (1951), est sans conteste la plus noire de la filmographie de son auteur, et même une des oeuvres les plus noires réalisées à Hollywood. Ce film, qui va être le premier échec commercial de la carrière du cinéaste, doit hélàs une grande partie de son immense valeur à son caractère prophétique.

Charles Tatum (Kirk Douglas), journaliste sans emploi aussi minable que cynique et arrogant, échoue dans une bourgade du Nouveau-

Mexique. Il réussit à trouver un emploi dans le journal local. Ses méthodes de la recherche du "scoop" à tout prix est en total opposition avec celle de son nouveau patron qui prône l'honnêteté. Pendant un an, Tatum va être condamné à son plus grand désespoir au purgatoire des "chiens écrasés". C'est en route pour couvrir un de ses faits divers peu intéressants qu'il apprend par hasard qu'un homme, Leo Minosa (Richard Benedict), à la recherche de vestiges indiens dans un galerie souterraine y est coincé à cause d'un éboulement. Tatum n'hésite pas un instant et décide d'exploiter cet événement pour se faire une très grande publicité et espérer retrouver ainsi un poste dans un prestigieux quotidien new-yorkais dont il avait été viré pour diverses raisons aussi peu reluisantes les unes que les autres. Pendant qu'il fait semblant de montrer du soutien auprès de la victime, Tatum pour faire durer l'événement, convaint le shérif du coin (Ray Teal), dont les élections approchent, de ralentir le plus possible le sauvetage contre la promesse d'une grande médiatisation et ainsi d'un nombre important de voies supplémentaires. Dans le même temps, il n'hésite pas à séduire la femme désoeuvrée de Minosa, Lorraine (Jan Sterling) qui va se montrer peu farouche ainsi que peu inquiète du sort de son mari. Face au plus grand cynisme encore des personnes qu'ils l'entourent, à une victime dont le temps est très compté et à la médiatisation de l'événement dont l'ampleur gigantesque va vite le dépasser, Tatum va être pris d'un sursaut de conscience mais trop tard. Celui qui sème le vent...

Que ceci soit bien clair en suggérant que le film va très mal finir, je ne révèle pas un spoiler car dès les premières minutes du film le spectateur sait qu'il va en être ainsi. Contrairement au "Poison" (1945) où un happy-end sauvait le personnage principal, pourtant vraiment au fond du trou, dans les dernières minutes, là rien. Pas de happy-end, pas de gentille morale, pas de jolie phrase pour mieux nous faire passer la pillule, Billy Wilder va au bout de sa funeste logique. On va suivre pendant près de deux heures un personnage arrogant, cynique et sans le moindre scrupule pour lequel on ne va ressentir absolument aucune sympathie. Le malaise est déjà ainsi très présent chez le spectateur. Avec en plus une galerie de personnages secondaires pourris jusqu'à la moelle en particulier la femme de la victime et le shérif, dont la vénalité est symbolisé par le serpent à sonnettes qu'il porte toujours avec lui dans une boîte. Mais ajoutez à cela une condamnation en règle de la presse à sensation, que le cinéaste avait très bien connu quand il était journaliste, et puis bien sûr, sinon ce serait trop facile, du public qui la cautionne. Un public qui prend comme une attraction de foire, aspect accentué par les stands et la grande roue qui sont installés près du lieu de l'accident, le fait qu'un homme risque de mourir. Cela vous rappelle pas quelque chose comme la télé-réalité ou Internet. Eh oui, non content d'être en avance sur son temps, le film s'avère plus d'actualité aujourd'hui qu'à l'époque de sa sortie. C'est en grande partie pour cela que le film est un chef d'oeuvre. On aimerait bien que certains films ne soient pas des chefs d'oeuvre mais c'est comme ça.

Bien sûr en cinéaste intelligent qu'il était, Billy Wilder utilise magistralement la mise en scène pour accentuer la montée en puissance de son personnage le filme soit en hauteur, soit en contre-plongée. Alors que sur le plan final, la caméra est posée au sol pour mieux symboliser sa chute.

Le film est intéressant sur plusieurs points en dehors de l'histoire en elle-même. D'abord c'est la seule collaboration entre l'acteur Kirk Douglas, qui incarne superbement son personnage, avec Billy Wilder. Ensuite c'est le premier film du cinéaste (à l'exception d'"Assurance sur la mort" (1944)) qui ne soit pas co-scénarisé avec Charles Brackett avec qui il s'était séparé définitivement. Pour finir, c'est la première fois que Wilder produit un de ses films et ce sera aussi hélàs son premier échec commercial. Car aux Etats-Unis, les critiques et le public ne suivent pas ce film qu'il juge très corrosif. Paniquée la Paramount tentera de le ressortir en replaçant le titre original de "Ace in the Hole" par "The Big Carnival" pour en atténuer la noirceur. Mais rien y fait, "Le Gouffre aux chimères" sera un échec commercial qu'un bon succès en Europe rattrapera en partie.

Une chose qu'est sûr c'est qu'avec ce film, l'âme humaine n'en sort pas grandit. On se dit même que c'est le Diable qui se fait arnaquer en achetant l'âme de certaines personnes. En tous les cas, Wilder atteint ici un degré de noirceur que seul Erich Von Stroheim avait réussi à atteindre jusque-là. Le film aura le droit à un remake plus ou moins avoué et en tout point inférieur de Costa-Gavras avec "Mad City" (1997) avec Dustin Hoffman et John Travolta dans les rôles principaux ainsi qu'à une parodie très réussie dans un épisode des "Simpson", "Un puits de mensonge" où Bart fait croire grâce à un microphone qu'un gamin est tombé au fond d'un puits avant d'y tomber lui-même. Billy Wilder dira de ce film qu'il est celui de ses films qui préfère avec "La Garçonnière" (1960). On ne serait lui donner tort.  


 

 



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P
PandaranolJ'ai bien aimé cet article, merci à toi.
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M
MBA thesis WritingIt is very helpful guidelines for me, I expect you will share this type of tips in future carry on,
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S
SeotonsPeut probablement être un simple solution essentiel dedans manière la vie, films de film, cinéma en même temps que série télévisée !
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C
Hello, je conaissé ps ton site internet, mais mon cop1 en avait fait les éloges avant hier. On va lire immediatement aux autres posts, congrats à l'égard de ton interessant travail... Bises !! Amelie
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S
SeotonsMerci d'avoir partagé cette info
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